La Tarente : Pourquoi avoir accepté d’augmenter cette réédition du livre de Probst-Biraben ?

Irène Mainguy : Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’étais passionnée par les articles de Probst-Biraben que je découvrais dans d’anciens numéros du Voile d’Isis. Pendant des années, le personnage est resté mystérieux sans que l’on ne connaisse rien de sa biographie en dehors du fait qu’il avait été en relations épistolaires avec René Guénon. En fait, Probst-Biraben est un auteur singulier qui mérite d’être sorti de l’oubli. Très éclectique dans ses centres d’intérêt, il a approfondi de nombreux sujets en les traitant avec érudition. Polyglotte, homme en quête d’une spiritualité authentique, il avait une bonne connaissance de la tradition abrahamique, des différents rites maçonniques et des sociétés paramaçonniques. Libéré de tout esprit de chapelle, au crépuscule de sa vie, il était passé au-delà des formes. Dans ma postface, le lecteur peut découvrir une courte biographie qui permet de faire connaissance avec un être attachant, chercheur de vérité, simple et érudit. Il traite dans cet ouvrage un de ses sujets de prédilection représenté par l’œuvre initiatique de Rabelais. Sa première étude sur le sujet fut publiée dans un article du Voile d’Isis en 1929 alors que son étude complète sous forme de livre paraît vingt ans plus tard dans Les Cahiers astrologiques. Lorsque les Éditions de la Tarente m’ont demandé de parrainer la réédition de cet ouvrage, épuisé depuis soixante-dix ans, j’ai immédiatement accepté, très honorée et heureuse de contribuer à exhumer de l’oubli Jean-Henri Probst-Biraben, d’autant plus que les lecteurs ont beaucoup à apprendre de ses écrits. Il est à souhaiter que l’ensemble des études parues sous forme d’articles de cet auteur soient un jour regroupées en volumes thématiques comme cela a été fait en son temps pour Jean Reyor. 2 La littérature au sujet de Rabelais est assez conséquente.

La Tarente  : Qu’apporte ce livre sur l’œuvre de cet écrivain hors norme ?

Irène Mainguy : Vous avez raison : de nombreuses études traitent de l’œuvre de Rabelais sur un plan initiatique, mais elles sont postérieures à celle de Probst-Biraben, notamment celles de Paul Naudon et de Claude Gaignebet. La publication de Probst-Biraben et son décryptage spirituel figure comme une œuvre de pionnier qui nous fait découvrir la richesse et la subtilité de la pensée rabelaisienne et approfondir les richesses analogiques de son œuvre, difficile de percevoir dès la première lecture.

La Tarente : En quoi Rabelais serait-il un pont entre l’Antiquité et la civilisation chrétienne ?

Irène Mainguy : Dans l’Antiquité, le thème des géants avec les Titans et les Cyclopes est un classique de la littérature populaire. Au début du XVIe siècle, alors que Rabelais est moine en Vendée, les autorités de son couvent lui confisquent ses livres grecs, considérant que le savoir hérité de l’Antiquité menace la religion chrétienne. Rabelais, homme de la Renaissance, utilise comme héros toute une famille de géant. Le nom de Pantagruel signifierait selon l’auteur « ayant grande soif de tout connaître ». Seule cette soif de connaissance, comparable à la sienne, peut s’opposer à l’obscurantisme de l’enseignement religieux officiel et permettre à ses héros d’accéder à la sagesse. Rabelais est un philologue érudit nourri de littérature grecque et latine, mais aussi un grand savant en matière de théologie et de philosophie des Pères de l’Église. C’est en humaniste et en chrétien qu’il se réfère aux textes de l’Antiquité. Il considère les auteurs anciens comme des précurseurs. Il est suspecté d’hérésie par les autorités de l’Église. Probst-Biraben démontre clairement que, dans son Pantagruel, Rabelais, clerc et humaniste, est un trait d’union entre l’Antiquité et le Christianisme..