Hund en lumière : 3 questions à André Kervella
Les Éditions de la Tarente : Vous êtes reconnu pour vos recherches et vos publications sur l’histoire de la franc-maçonnerie. Hund en lumière n’y fait pas exception. D’où vous vient cette passion ?
André Kervella : Retracer un itinéraire intellectuel qui conduit à écrire sur la franc-maçonnerie est, pour moi, un exercice assez compliqué. J’ai une triple formation universitaire en physique électronique, en philosophie et en histoire. Déjà, si l’on me demandait pourquoi je suis passé des sciences physiques aux sciences humaines, je serais en peine de formuler en peu de temps une explication satisfaisante. Disons, pour aller vite, qu’une fois entré dans le cursus philosophique je me suis intéressé à l’histoire des idées. Puis l’histoire des idées m’a porté vers l’histoire des faits, des évènements. Alors, je me suis focalisé sur la période des 17e et 18e siècles pour essayer de comprendre ce qui a fait naître en Europe le mouvement des Lumières, mais aussi ce qui a produit en France la fin de l’Ancien régime monarchique et l’apparition de la première République. Il était logique que, à un moment ou un autre, je me pose la question du rôle joué par les francs-maçons, autant les écrivains que les grands négociants ou les militaires.
Il se trouve par ailleurs qu’au début des années 1990 j’ai été sollicité pour appartenir à une loge. Cela m’a amené à m’interroger sur le sens des pratiques propres à l’Ordre, à la fois dans son organisation institutionnelle et dans la construction de ses discours de légitimation. C’est ici qu’apparaît une question épineuse. En effet, dès le début, j’ai voulu faire des recherches qui aillent au-delà des ouvrages dont on me recommandait la lecture. De fil en aiguille, j’en suis arrivé à constater que les théories sur l’apparition de la Grande Loge de Londres en 1717 sont contestables, car elles écartent tout ce qui se rapporte à l’action antérieure des partisans des Stuart en Grande-Bretagne. L’histoire des faits, justement, impose d’évoquer les troubles politiques qui agitent les Îles britanniques quasiment depuis les années 1630. De même, on ne comprend rien aux conditions sociologiques d’émergence des premières loges françaises si l’on ignore ou marginalise l’influence déterminante de ces mêmes partisans contraints à l’exil dans notre pays après la Révolution anglaise de 1688-89. C’est ce que je m’efforce de montrer dans la plupart de mes ouvrages.
Le Baron de Hund est une personnalité assez controversée dans l’histoire de la franc-maçonnerie. Quel éclairage sur cet important personnage apporte le décodage de cette patente ?
André Kervella : Controversé, et parfois en des termes malveillants. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir menti, forgé un mythe. Il aurait abusé ses contemporains en Allemagne afin de se camper en grand maître d’une obédience douteuse, connue sous le nom de Stricte Observance Templière. On lui reproche de s’être autoproclamé tel, sans avoir été agréé ou investi par personne. Il aurait bâti un Ordre à partir de rien. Pendant plus de vingt ans, de 1751 jusqu’à sa mort en 1776, il aurait cherché à faire illusion.
Eh bien, le décodage de la patente, ainsi que l’analyse d’autres documents d’archives, révèle au contraire qu’il n’a menti sur rien, qu’il était honnête, sincère. Car cette patente est le document qui l’installe ou constitue dans ses fonctions magistrales. Ce qui lui a nui, c’est que cette patente est donc chiffrée, qu’il n’a jamais voulu en dévoiler le code et qu’il n’a jamais non plus révélé le nom du signataire. Il ne faisait d’ailleurs en cela que respecter scrupuleusement le serment du secret exigé de lui. Il lui arrivait d’évoquer des Supérieurs Inconnus. Cela agaçait tous ceux qui réclamaient leurs noms sans qu’il en prononce un seul.
Comment êtes-vous arrivé à « casser » le code cette patente considérée comme fondatrice de la Stricte Observance Templière ?
André Kervella : En Angleterre sont conservés de nombreux courriers échangés entre des responsables du parti des Stuart au 18e siècle, et un peu avant. Certains sont chiffrés selon des procédés assez courants à l’époque. À force de les consulter, on en vient à être familier des habitudes adoptées par eux. Le problème est que la patente est inclassable, au sens où le code inventé pour l’établir est unique, il ne se rencontre pas ailleurs. Cependant, une chose a fini par retenir mon attention. En comparant la patente et la correspondance signée par un protagoniste éminent nommé George Keith, répondant ordinairement au titre de comte Marischall, j’ai été frappé par l’analogie troublante des écritures. Je me suis alors demandé si ce n’était pas le même homme qui avait choisi le baron de Hund pour introduire en Allemagne la franc-maçonnerie templière. Une investigation calligraphique, si j’ose dire, m’a porté vers une conclusion affirmative.
Ensuite, une longue enquête pour déterminer si Marischall avait les dispositions requises pour s’adonner à ce genre de cryptage a fortement consolidé cette conclusion. Il maîtrisait le latin, ainsi que le français d’ailleurs. Il aimait inventer des rébus et énigmes. Son érudition était grande et, surtout, il s’intéressait de très près à la geste des templiers du Moyen Âge. Un de ses ancêtres, bien connu dans l’histoire de l’Écosse, a d’ailleurs été contemporain des évènements ayant conduit à l’interdiction de l’Ordre primitif, et il a participé à la bataille de Bannockburn qui s’est déroulée l’année même du supplice de Jacques de Molay. Bien sûr, Marischall était l’un des plus hauts dignitaires de la franc-maçonnerie jacobite exilés sur le continent.
Ce premier point acquis, j’ai constaté que la patente mettait en œuvre trois procédés d’encodage correspondant à trois séries d’informations. Il y est question de chiffres liés par deux types de connecteurs, puis de lettres majuscules parfois précédées d’un indice numérique, et enfin de lettres minuscules juxtaposées comme dans n’importe quel mot ordinaire.
Quiconque possède des rudiments de cryptologie sait que les séries numériques sont souvent les plus faciles à casser quand on parvient à élucider la fonction des connecteurs. J’y suis parvenu rapidement, quand je me suis aperçu que Marischall avait employé une technique simplissime.
Pour le deuxième code, j’ai cherché à savoir quelle était la valeur des indices et la transposition qu’il fallait assurer entre les majuscules concernées sous forme cryptée et leurs équivalentes en clair. Il suffisait de reconstruire la clef se présentant en interface entre les deux. Comme le lecteur pourra le constater, cette clef accole les quatre noms propres PaganisMollayAumontHarris. Marischall écrit Mollay avec deux l, comme le font encore certains auteurs aujourd’hui.
Pour le troisième code, j’ai employé la méthode d’analyse séquentielle ou syntagmatique, au sens où il ne s’agit pas de chercher à décrypter mot par mot, mais séquence par séquence. Dans ce cas, il est important de savoir dans quelle langue le texte original a été conçu avant d’être crypté. Grâce aux découvertes amenées par le 1er et le 2e code, il s’avère que c’est le latin. Comment procéder pour en retrouver le sens ? Deux contraintes sont à respecter : 1°) Le fil des signifiants écrits dans le texte crypté suit de façon rigoureuse celui du texte source, du début à la fin, 2°) le nombre de lettres dans chaque mot doit être rigoureusement le même dans les deux cas, sauf signe explicite d’abréviation ou d’apocope.
L’avantage de la méthode séquentielle est de pouvoir valider un déchiffrement par la recherche de séquences analogues dans d’autres textes connus de la même époque et émis ou reçus par les mêmes personnages. Des comparaisons terme à terme permettent de repérer des bijections et de valider du même coup la transposition qu’on en fait. Ainsi, d’une part, j’ai comparé la patente à une autre cryptée selon le même procédé, mais adressée à un adjoint de Hund nommé Schömberg. Le fait de discerner des segments identiques aide à comprendre la mécanique de chiffrage, même si, évidemment, d’autres segments sont différents puisqu’ils caractérisent des données propres à chacun des deux bénéficiaires. D’autre part, j’ai comparé aussi la patente à des documents écrits directement en latin par Marischall ou bien Hund, et des similitudes flagrantes m’ont paru indiscutables.
Au final, le lecteur peu familier des techniques de cryptologie peut légitimement se demander quel est le degré de fiabilité de ces trois décodages. Il est de 100 % pour les deux premiers. Il est de 95 % pour le troisième. Je concède une possible marge d’erreur dans le dernier cas, pour la raison fort simple que ma connaissance de la langue latine n’est pas celle d’un linguiste expert et qu’il est donc possible que se soient glissées dans ma version des erreurs de lexique ou de syntaxe. Les propositions d’amélioration seront donc bienvenues. Quoi qu’il advienne, l’objectif est atteint : en articulant ensemble ces trois codes, on apprend quel est le contenu de la patente, qui en est l’auteur, et à quelles fins elle a été confiée au baron de Hund.
Pour en savoir plus sur cette passionnante enquête : Hund en Lumière : la Stricte Observance Templière décodée aux Editions de la Tarente
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